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La longue et savoureuse histoire

de

RUDGE-WHITWORTH


 La révolution industrielle:
L'empire colonial. La spécialisation industrielle et la puissance financière.
Une société commerciale et industrielle dont l'idéologie est technicienne et rationaliste.
Le dépôt de brevets a deux fonctions: protéger les inventeurs, informer les innovateurs.

 

.1 Les précurseurs: ils ont tout inventé, il ne leur manque que le bruit d'un moteur.

 

Daniel Rudge (1841-1880) fonde à Wolverhampton la Rudge cycle Co. en 1868. Eternel insatisfait des standards techniques de l'époque, il dépose de nombreux brevets dont le n°520, le fameux roulement ajustable toujours utilisé de nos jours. Les vélos Rudge sont tellement supérieurs qu'on les oblige souvent à prendre le départ des courses avec 20 ou 30 yards de handicap. Cette publicité fait évidemment s'envoler les ventes.

A la fois patron, ingénieur et coureur, il meurt prématurément en 1880, laissant à son épouse Mary Ann une entreprise extrêmement saine.


George Woodcock de Coventry (1936-1891), homme d'affaire génial, est propriétaire de Haynes & Jefferis et Tangent Tricycle Co., il achète à Mary Rudge la Rudge Cycle Co. et tous ses brevets en 1880, et fonde une nouvelle société regroupant ses activités, la D.Rudge & Co. Ltd.
George Woodcock est le premier en Angleterre à amener la fabrication de vélos au niveau d'une production de masse. Sous ses ordres, Harry Lawson brevète en 1879 sous le n°3934, la "bicyclette", à roue arrière motrice commandée par chaine et aussi un cadre avec colonne de direction inclinée, naturellement stable. Une invention lourde de conséquences sur l'avenir de tout ce qui roule sur deux roues.
A la même époque, Lawson brevète sa première moto propulsée par "gaz comprimé" d'après les spécifications du brevet, n°3913 de 1880, mais sans suite immédiate.
En plus des compétitions, la D.Rudge & Co participe à toute sorte d'évènements publicitaires avec des prestataires comme Bob Walker Smith, Selwin F. Edge ou Frank Cooper, des noms qui deviendront célèbres dans les milieux du vélo, de la moto, ou de l'automobile.
Très surmené, George Woodcock casse sa pipe prématurément aussi en 1891 à l'âge de 54 ans.

 

Cette même année 1891 est l'année de la création de la Whitworth cycle Co. par Charles Henry Pugh.

 

 

Sir Joseph Whitworth (1803-1887), brillant ingénieur de l'époque victorienne, ne s'investit jamais dans les grands développements de l'époque, mais il invente les machines outils, les composants, et surtout les méthodes sans lesquelles ces développements auraient été impossibles. Par exemple la division décimale du pouce qui permet de passer la précision de 1/60e à 1/2.000.000e de pouce. Egalement la méthode permettant d'obtenir une vraie surface plane par rodage de trois surfaces l'une sur l'autre. Sa contribution reste aussi importante aujourd'hui qu'elle l'était de son vivant. Il établit les bases de la standardisation et de la production de masse. Il crée Whitworth Works à Manchester, probablement le premier complexe spécialisé dans les outillages et les pièces mécaniques de précision.

 

Whitworth works en 1866

 

Charles Henry Pugh (1840-1901), un fabricant de composants mécaniques, y fonde la Whitworth cycle co. en 1891 avec ses fils Charles Vernon Pugh comme directeur commercial et John Vernon Pugh comme directeur de fabrication. Très éclectique, il possède les marques Senspray et Atlas Chain Co (Atco), une marque d'outillages qui se spécialisera ensuite dans les tondeuses à gazon haut de gamme.

La même année 1891, le jeune Harry Rudge, fils de Dan Rudge, s'associe avec Charles Arthur Wedge pour fabriquer les vélos Rudge-Wedge.

 

Charles Henry Pugh achète la D.Rudge & Co. de George Woodcock en 1894.

Il crée la Rudge-Whitworth Ltd. et l'installe à Coventry.
En 1898 Rudge-Whitworth produit 27000 vélos. Ce chiffre augmentera à partir de 1900 pour atteindre 50000 en 1905 et 75000 en 1906, ça pédale sec!
Comme quelques sociétés de pointe, Rudge-Whitworth s'intéresse naturellement à la motorisation.
En 1900 la compagnie devient distributeur exclusif en Afrique du sud des motocyclettes Werner françaises. Un test signé Charles Vernon Pugh. Mais une brouille avec les frères Werner pour des raisons commerciales, met fin à l'expérience.
En 1902, Rudge-Whitworth crée un laboratoire d'essais de matériaux et de test pour les parties cycles.

 

Pendant ce temps, la Rudge-Wedge a prospéré et décide en 1903 de produire sa première motocyclette, présentée l'année suivante.
Elle est animée par un moteur Minerva et possède un cadre en deux parties pour isoler le moteur et réunies par des ressorts non amortis, solution pas très heureuse: nausées et sueurs garanties!
En 1904 le marché du cycle entre dans une nouvelle dépression et la Rudge-Wedge, en grande difficulté, est enfin rachetée par Rudge-Whitworth.

 

En 1905 Rudge-Whitworth brevète (six brevets de 1905 à 1910) une roue fixée par un écrou unique, rapidement démontable. Cette intéressante particularité la rend rapidement célèbre dans le monde entier et des sociétés se créent pour en reprendre la fabrication. La plus célèbre est sans doute celle de Carlo Borrani qui fonde en 1922 la Rudge Whitworth Milano. En 1924 un jeune coureur, Enzo Ferrari, gagne la coupe Acerbo à Pescara au volant de son Alfa équipée de roues Rudge. Il créera de 1932 à 1934 une écurie de course équipée de motos Rudge-Whitworth. Il deviendra par la suite le plus célèbre client de Borrani. C'est une autre histoire mais qui mérite une vitrine à elle seule, car au cours du XXe siècle absolument toutes les marques d'autos dignes de ce nom, de tous les pays, ont eu dans leur catalogue les roues Rudge, au moins en option!
 

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Après 1906 la production de Rudge-Whitworth continue d'augmenter rapidement au delà de 75000 unités par an, la gamme comprend 75 modèles, tous couverts par une garantie de 10 ans!

En 1908 Rudge-Whitworth innove encore: l'imprimerie maison édite "the Rudge record", journal de liaison entre les employés et tout ce qu'il se passe dans l'entreprise.

 

L'impressionnante foule des employés à Rudge-Withworth works, en 1908

 

.2 La motorisation

En 1908 John Vernon Pugh prépare une moto 100% Rudge, en innovant bien sur selon l'habitude "maison".
Tous les moteurs du marché sont à cette époque à soupapes latérales. On sait faire des moteurs culbutés bien sur, mais les aciers utilisés sont médiocres et les bris de soupapes sont fréquents avec les conséquences désastreuses qu'on connait sur un moteur culbuté.

 

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L'astuce de Rudge est de conserver la soupape d'échappement latérale, et de placer une soupape d'admission culbutée directement au dessus en opposition avec celle ci, donc déportée par rapport à la chambre. Ainsi en cas de bris de soupape il ne se passe rien, le moteur cesse simplement de fonctionner comme avec des soupapes latérales. Bien mieux, ainsi placée la soupape d'admission permet de refroidir idéalement la soupape d'échappement!
Ce premier moteur Rudge est un 3 1/2 hp (500 cc), ce qui est à l'époque la plus grosse cylindrée pour une moto de route monocylindre.
Il possède une culasse détachable contrairement aux habitudes de l'époque, un piston en fonte d'acier, et un carburateur Brown & Barlow spécialement fait pour Rudge.

 

En 1910, pas moins de quatre générations de motos de pré-série sont testées avec des solutions différentes.
La même année, Rudge-Whitworth dessine un nouvel embrayage multi-disques combiné avec une poulie ajustable (brevet 26634/1910).

 

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A la fin de 1910 Rudge-Whitworth présente au public deux versions, la première à transmission directe au prix de 48,15 livres, la seconde avec moteur libre de sport équipée du nouvel embrayage, au prix de 55 livres. Sur les deux modèles on peut faire varier la transmission de 4:1 à 6:1 grâce à la poulie ajustable. Les guidons des Rudge-Whitworth sont noirs, vous avez quelque chose contre?
La production commence en 1911 et dès le mois de janvier les "sporting Rudge" remportent des succès dans toutes les disciplines sur circuit et sur route. Des modèles TT sont développés. C'est le début d'une très longue liste de victoires et de records.

 

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Pendant 1911 le système Multigear est développé (brevets 14663/1911 à 22400/1911).Il est composé de l'embrayage standard en bout de vilebrequin mais la poulie moteur extensible est maintenant synchronisée avec une seconde sur la roue arrière, celle ci réagissant à l'inverse de la poulie moteur. L'intérêt est de garder la courroie toujours parfaitement tendue et alignée, ce qui n'était pas le cas avant et limitait la capacité du premier système à varier la démultiplication. Le nouveau système donne une variation continue du rapport, de 7,0:1 jusqu'à 3,5:1 avec la roue standard. Pour accommoder ce système un nouveau frein sur poulie est fabriqué (jusque là sur la jante).

 

 

 

En janvier 1912 une grande publicité est faite au système Multigear, qui peut être obtenu en addition à l'embrayage standard pour la somme de 5 livres. Le modèle TT est annoncé comme "un modèle dépouillé pour Brooklands, livré prêt à courir avec les plaques de numéros prêtes à peindre", le tout pour 47,15 livres.

Insatisfaite des carburateurs du marché, la Rudge-Whitworth développe le carburateur Senspay qui devient dès lors la monte standard des rudge.

Dès le mois de mai 1912, la 499 cc Rudge Multi est représentée comme le modèle phare de la gamme, les modèles à prise directe étant présentés comme une alternative sur commande spéciale uniquement. Les modèles TT et Brooklands sont maintenant bien différents, la Brooklands est dépouillée à l'extrême, sans garde-boues, avec un carburateur Senspray et un échappement libre.

Les side cars sont devenus populaires pour le tourisme moto, et John Pugh réalise que ça peut être un marché lucratif. Mais le 3 1/2 hp Rudge-Whitworth est défavorisé face aux twins 8 hp du moment. La transmission Rudge est parfaite pour le side-car mais risque de ne pas encaisser un doublement de la puissance moteur. John Pugh trouve une alternative dans un monocylindre redessiné avec une cylindrée de 749 cc basé sur le dessin du 3 1/2 hp.

 

 

 

Vers 1912 une nouvelle folie entre en vogue: le cyclecar. Aïe! Un certain nombre de firmes développent fébrilement ces véhicules peux coûteux et Harry Morgan construit depuis deux ans son runabout à moteur JAP V-twin. Rudge-Whitworth investit déjà dans la production de roues détachables, de roulements, de carburateurs, de vélos, de motos, de side-cars, et elle est partante pour une nouvelle aventure. Pendant l'été 1912, John Vernon Pugh et Frank Pountney développent un cyclecar à quatre roues qui utilise le 749 cc du side-car placé entre les roues avant très écartées, qui obligent à abattre une partie de mur pour élargir la porte de l'atelier avant que l'engin fasse ses premiers tours de roue. Cet engin biplace est équipé d'une transmission type Rudge Multi, de suspensions à lames et d'une direction à crémaillère, il montre une étonnante stabilité même à pleine vitesse. Un autre version de 500 cc est construite début 1913, mais aucune des deux n'entre finalement en production.

 

 

Pour 1913 un modèle "colonial" très renforcé apparait.

Le side car est mis sur le marché pour 16 livres avec éclairage en option, et la production est lancée au rythme de 30 unités par semaine. La caisse est formée de panneaux d'aluminium fixés sur une armature, contrairement à la construction classique de l'époque en toile d'avion. Le side-car est testé et pour sa première course à Brooklands, remporte les trois premières places. Accumulant par la suite les succès dans toutes les disciplines, il devient très demandé par les coureurs.
Le graissage est encore réalisé au moyen d'une pompe actionnée à la main, qui obligeait le conducteur à lâcher régulièrement les commandes. John Pugh y remédie en réalisant une pompe à pied et en plaçant la réserve d'huile sous la selle.
En course la Rudge n'est pas heureuse au TT de l'ile de Man, mais compense largement par des succès partout en Europe, ainsi qu'en Russie et en Afrique du sud.

 

14 - 18
Début 1914 Rudge-Whitworth construit un prototype 275 cc et teste une distribution à soupapes en tête mais revient au semi-culbuté classique.

Malencontreusement le 28 juin 1914 l'archiduc Franz Ferdinand d'Autriche et sa femme sont assassinés, on est partis pour cinq années de guerre toutes affaires cessantes!
En 1915 Rudge propose la 499 cc et la 749 cc avec une boite Sturmey-Archer trois vitesses. Malheureusement les boites sont une cause permanente de problèmes et c'est un échec commercial.
Devant le succès du side car et l'accroissement du marché, John Pugh décide de faire un gros twin. Il essaie un vertical twin de 998 cc issu de l'assemblage de deux 499 cc de production dont les embiellages sont réunis par un accouplement élastique, ce qui permet de déphaser un moteur par rapport à l'autre, chacun ayant sa magnéto et son carburateur. En fait une Rudge Multi avec un deuxième moteur accouplé coté distribution. C'est moche mais ça le fait! Un autre essai est fait avec deux 749 cc. Le résultat est un prototype Rudge-Multi 998 cc V-twin à 60°, avec les admissions à l'intérieur du V et la distribution habituelle IOE "Inlet Over Exhaust valve", qui est terminé en septembre 1914.
Pendant ces développements la production continue au rythme de 600 machines par mois dont 150 749 cc, au moins la moitié pour l'exportation. En octobre 1914, 400 Rudge-Multi sont fournies à l'armée russe en trois semaines.

1914 est l'année de la victoire de Cyril Pullin et de sa Rudge à cadre spécial au senior TT, juste cinq semaines avant le début de la guerre.

 

 


En 1915, la 998 cc V-twin est au catalogue, au choix soit en version Multwin avec le multigear, soit avec une boite quatre vitesses faite par John Jardine avec transmission primaire par chaine et secondaire toujours par courroie. Sont aussi proposés les quatre modèles 499 cc et un side-car. Malgré les problèmes de boites de vitesse dus probablement à l'embrayage en bout de vilebrequin, le choix d'une boite est valable car le système multi a du mal à encaisser la puissance et le couple du gros V-twin.
La guerre fait rage et la mobilisation des troupes fait complètement chuter les ventes de motos civiles. Même les pilotes de l'équipe Rudge sont partis se battre. Rudge-Whitworth fournit encore 400 motos à l'armée belge et espère des commandes de l'armée anglaise, mais c'est Triumph qui rafle le marché! John Pugh vend tout de même quelques motos à la Royal Navy pour le personnel à terre.
A l'automne 1916 la production civile stoppe complètement sur ordre ministériel.

En 1917,en dehors de quelques motos militaires, Rudge-Whitworth fabrique des étuis à munition en sous-traitance pour Woseley. Rudge-Wheel fournit des roues en grande quantité pour tout le matériel roulant, l'aviation, et même pour équiper certains téléphériques. La fabrique de roulements à billes travaille à plein rendement et a du être agrandie. Rudge-Whitworth ne ressemble plus beaucoup à ce qu'elle était avant 1914.

 

 

 

A la fin des hostilités en novembre 1918, la priorité est donnée au retour vers la production de motos civiles. C'est urgent. La fabrique de roulements n'est pas entièrement payée de son travail car une grosse partie des roulements livrés et inutilisés lui est retournée. Il faut trouver une source de revenus, et vite, car avec le retour des troupes à la vie civile une explosion des ventes est attendue. Beaucoup de soldats ont appris à conduire une moto pendant le service.
Victor Holroyd, nouveau directeur général fait face à des problèmes de personnel: de nombreux employés ont été tués au combat et il n'est pas facile de retrouver des ouvriers qualifiés. S'ajoute que les magnétos utilisées avant la guerre ne sont plus disponibles, il faut trouver temporairement une autre source aux Etats Unis. La production n'est plus que de deux ou trois machines par jour début 1919. Seule la 499 Multi est produite, en standard ou TT. Vers le milieu de l'année la 749 et le side car sont réintroduits. Les motos sont identiques aux modèles 1914 sauf la TT qui utilise le nouveau cadre surbaissé dessiné par Cyril Pullin.
Heureusement la production de vélos est tout de suite revenue au niveau d'avant guerre et permet à la société de tenir le coup financièrement.

 

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En novembre 1919 un salon est organisé pour aider les constructeurs de motos: l'Olympia show. Les ventes y sont bonnes, mais la 499 cc est plutôt dépassée par ses concurrentes à moteurs culbutés et transmission entièrement par chaine. Il faut faire quelque chose.
George Hack, jeune ingénieur juste démobilisé, rejoint le bureau d'études Rudge-Whitworth.
En mars 1920 les exportations reprennent, la production atteint 20 machines par jour puis 30 par jour au mois de juin, un record. Les ventes de vélos vont aussi très bien surtout grâce aux vélos de course, très populaires. La totalité des vainqueurs du championnat anglais sont équipés de vélos Rudge-Whitworth.

 

En 1919 John Pugh a décidé la construction d'un moteur révolutionnaire en vue du record de vitesse moto, dont les plans sont terminés en juillet 1920.

C'est un 4 cylindres en ligne de 1700 cc refroidi par air avec un arbre à cames en tête, des cotes super carrées d'alésage/course (85 x 75), des cylindres ailetés, un carter boulonné de type automobile, et des équipement très avancés comme une pompe à huile entrainée par engrenage, des paliers à demi coquilles et des pistons flottants. Equipé d'une robuste transmission par chaine et boite de vitesse, ce moteur se montre extrêmement puissant pour l'époque: dans les premiers tests il déchire complètement le pneu arrière.

Le problème avec ce moteur, c'est qu'il dépasse nettement la cylindrée maximum de 1000 cc autorisée par l'ACU et la FICM pour les courses et les tentatives de records. Les deux organisations refusent de créer une catégorie supérieure en dépit des protestations virulentes de John Pugh qui ne voit pas d'intérêt à cette limite de cylindrée arbitraire. En représailles il bannit officieusement toute participation de Rudge aux courses pendant deux ans.

Ce moteur terminera tristement sa carrière des années plus tard, lors du dernier noël que John Pugh passera chez Rudge-Whitworth. Après avoir porté quelques toasts et bu moult verres, John Pugh trouvera ce moteur couvert de poussière dans les réserves, et le balancera du premier étage de l'usine. C'est du moins ce qu'on raconte.


Les problèmes de transmission à courroie survenus dès 1915 sur la V-twin ne sont toujours pas résolus et la boite Jardine n'est pas satisfaisante non plus. John Pugh décide de construire sa propre boite à trois vitesses. Il garde l'embrayage standard et adopte une transmission entièrement par chaine. La poulie-frein avec patin extérieur est conservée. Ceci permet de simplifier considérablement la fabrication, et d'obtenir pour la première fois des roues avant et arrières interchangeables.

 

 

Cette combinaison est testée avec succès en 1920 sur la 499 cc et sur la twin 998 cc. Fin octobre au salon, en plus de la gamme Multi sont présentées les 499 cc, 749 cc, et 998 cc avec cet équipement, avec en option pour la première fois aussi, un éclairage électrique Lucas comme alternative à l'acétylène.

En 1921 la production s'annonce bien. John Pugh et George Hack travaillent sur une version 500 cc de la 998 V-twin. Ils améliorent la boite avec un kick starter, et l'embrayage avec un amortisseur de transmission.
Pendant la période 1920 - 1922, l'offre de motos dépasse la demande, beaucoup de petits constructeurs ont fait leur apparition, la plupart disparaissent, et les grands comme Rudge-Whitworth sont obligés de réduire leur production et de tailler dans leurs marges. John Pugh revient sur sa décision de ne pas courir et annonce pour le Manx TT 1922 un team d'usine dans l'espoir de doper les ventes avec cette publicité. C'est une débâcle, une seule machine sur les dix engagées termine la course, à la quatorzième place. Le team Rudge est dissout après ce fiasco et Rudge ne retournera pas à l'ile de Man avant longtemps. Comme suite, les ventes et la production baissent encore plus jusqu'à un chiffre dramatique de sept machines par jour.
Le cadre type Pullin est maintenant standard et il est difficile d'y loger le 749 cc mono. Ce moteur est donc abandonné.
Une nouvelle boite à quatre vitesses est dessinée et un prototype 499 cc ainsi équipé est assemblé en janvier 1923.
Vu le manque de résultats en compétition depuis deux ans (seuls des "privés" ont participé aux courses, avec pas mal de succès il est vrai), Rudge axe maintenant sa publicité sur des célébrités et des acteurs utilisant leurs Rudge-Whitworth, et ça marche.
Fin février 1923, les modèles 4 vitesses sont en production et la boite 3 vitesses est virtuellement abandonnée.

La surproduction des années précédentes est difficile à résorber malgré des prix revus à la baisse. L'année 1923 est encore un désastre pour la production. Si Rudge veut sortir de cette crise elle doit proposer davantage. La clientèle a l'esprit sportif, or le vieux moteur IOE n'est justement plus assez compétitif. John Pugh pense à le redessiner avec un objectif de performance. En 1922 une des plus performantes machines en course était la Triumph 499 quatre soupapes mono, dessinée par Sir Harry Ricardo. John Pugh s'y intéresse de très près. Un tel moteur dans l'excellente partie cycle Rudge devrait bien se vendre.

 

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à gauche, le moteur Triumph 4 soupapes de Sir Harry Ricardo, à droite la culasse Rudge-Whitworth.

 

Le premier prototype Rudge à 4 soupapes est construit en juillet 1923. Il est basé sur le 499 cc IOE traditionnel. La nouvelle distribution culbutée à 4 soupapes a l'avantage de limiter les distorsions de la culasse qui arrivent avec des soupapes de grand diamètre, le passage de gaz plus grand permet une meilleure respiration, et le faible poids des soupapes autorise un régime plus élevé. Le moteur est 50% plus puissant que le meilleur IOE de production. Avec de telles performances la partie cycle montre ses limites, et pour épargner la dépense d'une refonte totale, le moteur est redessiné en 350 CC en septembre 1923. Des améliorations sont apportées à la partie cycle, qui débouchent en octobre 1923 sur un cadre entièrement nouveau qui sera conservé jusqu'en 1939.
Tout l'effort de Rudge est concentré sur la 350, si bien qu'à l'Olympia Motorcycle Show de fin d'année, les deux prototypes 499 cc quatre soupapes sont toujours dans leur version initiale.
La toute dernière Multi est assemblée le 31 octobre 1923. La marque italienne Moto Borgo continuera à produire la Multi sous son propre nom "Borgo Cambio Graduale" au long de 1924.
La dernière V-twin est construite le 2 novembre 1923.
L'usine est ré-outillée pour la nouvelle production, qui redémarre au nouvel an 1924 au rythme de 35 machines par jour.

 

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Durant 1924 un train d'améliorations est élaboré en vue de la production 1925: Nouveau 500 cc avec une distribution revue par rapport au 350, nouvelle boite à 4 vitesses, nouveaux garde-boues, des marchepieds, et surtout des freins avant et arrières actionnés par une seule pédale. Ces changements s'avèrent payants puisque la production 1924 atteint le double de ce qui était escompté.

 

Fin de la première partie.
 

Par Bertrand

 

Sources et documents connexes, génuflexes, et circonflexes:

Brevet roue détachable

Brevet poulie-embrayage variable

Brevet culasse 4 soupapes

Brevet frein intégral

http://www.gracesguide.co.uk/Rudge-Whitworth

http://www.cartage.org.lb/en/themes/Biographies/MainBiographies/W/Whitworth/1.html

http://www.modelfoxbrianza.it/MotoScuderia.htm

http://www.google.com/patents?q=%22j+v+pugh%22

http://patent.ipexl.com/assignee/John_Vernon_Pugh_1.html

Ma source principale, le bouquin de Peter Hartley "Story of Rudge motorcycles". Merci à Laurent "Zesingle" de me l'avoir prêté un certain temps!


Quelques manuels :

Le Manuel Rudge-Whitworth 1910-1924

Le Manuel Senspray 1910-1920

 

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