BSA 650 Spitfire Mk IV
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Double trouble
« On
ne peut concevoir la moto que de deux manières : soit c’est un objet de
consommation, un produit de notre société industrielle, un moyen de locomotion
soit c’est une extension de ton corps, de ton âme, c’est une expression de ton
être, une manifestation de ton existence ! »
Je faisais mon flip,
tranquille. Je venais de retrouver un de mes Gottlieb favoris dans ce bistro
d’un autre âge et, malgré tous mes efforts, je n’arrivais pas à me concentrer
sur le jeu - c’est à dire sur le truc momentanément le plus important de mon
existence - avec l’autre illuminé qui philosophait au comptoir sur l’être et
l’avoir été en bécane.
Bon Gégé c’est vrai qu’il
avait du mal à pas réfléchir au sens de la vie même quand on se tirait une
bourre, ce qui lui a valu quelques tout droits d’ailleurs, des surprises,
des grosses chaleurs et des gamelles aussi. Mais voilà, il avait le don de
me faire douter de tout et là c’était foutu pour la partie, d’ailleurs je
venais de tilter pour la deuxième fois!
Mais c’est vrai que moi
qui croyais toujours rouler à l’instinct (pas l’instinct de conservation je
crois), je me suis surpris à me demander ce que je faisais en 2004 à 51 ans
passés avec cette deuxième BSA, une Spitfire modèle mkIV. Pas la mythique
caractérielle avec ses carbus on/off Grand Prix, non la version plus récente
et plus « civilisée » avec ses 53 bourrins bien dociles.
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Il est vrai que ma première, une Lightning de 71, celle avec le cadre crème
et le réservoir américain orange, blanc et alu, m’avait fait faire tellement
de bornes, m’avait accompagné tant d’années (1976 à 1988), avait subi sans
broncher toutes les transformations qui me passaient par la tête (ça
bouillonne de contre-culture là dedans !) que je ne pouvais rouler - après
de longues années en Harley puis Buell – que de nouveau sur une BSA et une
650 de préférence, enfin quelque chose qui me rappellerait ma Lightning.
Je regardais la dernière
boule tomber du haut du tableau, rebondir sur quelques champignons, marquer
quelques points aussi finalement et terminer sa trajectoire dans le couloir
gauche.
Sans réagir.
Gégé continuait dans son
coin.
« Là où ça
devient plus compliqué, c’est que ta moto, elle te ressemble et tu lui
ressembles aussi. Enfin, elle dit tout sur toi mieux que toi, elle te trahi
pas, non, elle t’explique aux autres parce que faire des phrases c’est pas
votre fort, hein ? »
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Je pensais à ma Spitfire
et je me demandais ce qu’elle disait de moi et sur moi .
Un bicylindre qui
arrache, parce que j’aime bien le Paddy irlandais qui arrache aussi ?
Rouge, parce que sans
couleurs je vois le monde triste ?
Autre que les autres
avec sa selle qui fait le dos rond, ses leviers en alu, sa cloche SRM mais
pareille aux autres avec ce réservoir qui lui est propre et ses jantes alu
d’origine, parce que c’est dans tous les autres qu’on se retrouve le
mieux ? Et dans toutes les autres aussi d’ailleurs… |
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Maniable, parce que j’aime
bien aller de l’avant mais aussi ne pas ignorer un signe de côté.
Vieille, ben oui parce que
vieux hein ?
C’est vrai qu’elle est un
peu rase-bitume avec une garde au sol limitée, un peu comme moi, j’y avais pas
pensé avant.
Quoique surprenante tant sa
tenue de route est saine et sa fiabilité sans faille. Bon, là faudrait que
j’arrête avec les compliments…
Ah oui, elle freine super
bien avec son beau double came, l’arrière accompagne bien aussi et avec en
plus un rétrogradage, ça devient carrément sportif. Bon, je cherche mais je
vois pas ce que ça peut dire sur moi tout ça. Sacré Gégé et ses théories…
« La moto ça
t’unit au reste du monde, ça te fait vivre en harmonie avec la nature, parce
que c’est un échange équilibré avec la nature et la physique : si tu vas trop
loin, t’es puni. Pense à ta dernière gamelle…
La moto, ça te
donne envie de voyager, de découvrir des pays exotiques – et je ne parle pas
seulement de l’Angleterre, hein, faut pas croire – de rencontrer des gens …et
pas seulement pour se tirer des bourres hein Jim, tu t’endors sur ton flip ? »
Là
il m’avait eu le Gégé !
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C’est vrai que c’était
sportif une Spitfire ! Et un nom (comme presque toutes les BSA) à vous
remuer les tripes !
Mais c’est vrai aussi
que c’est dans le voyage, seul ou avec mes potes, que je m’y retrouvais le
mieux, que je me trouvais bien.
Bien sûr, j’en avais
rencontré déjà des maniaques de la dernière rondelle référencée dans le
spare-parts list du constructeur, des méticuleux pour qui la moto anglaise
classique était comme leur collection de figurines militaires, juste un
peu plus salissant (quoique), des tristes, des fixés à l’objet, des
collectionneurs.
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Un rapide
coup d’œil autour de moi me rassura : pas un de cette espèce autour de
moi, dans ce troquet qui sentait bon la France qui vit, avec des gens et
leur histoire, avec Gégé au comptoir et nos bécanes qui avaient fini de
refroidir sur le trottoir…au dessus de quelques traces d’huile qui se
mélangeaient et se confondaient presque avec celles de la semaine
dernière.
Et c’est voyager qu’elle
sait bien faire ma Spitfire, tantôt flânant le long des rivières et des
champs, tantôt à plus vive allure quand l’envie m’en prend, avec pas de
souci (merci à mes potes de l’AMC), peu de carburant (4-5 litres au cent)
et beaucoup de confort (merci à Philippe pour son excellent boulot).
Voyager,
rouler tout simplement, revivre chaque jour « Zen ou l’entretien de la
motocyclette », sortir des sentiers battus et retrouver des gens qui
pensent comme vous, le voyage « perpetuum mobile » comme une boule de
flipper qui ne tomberait jamais…Le bonheur. |
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La moto quand
elle tombe en panne ou qu’elle a un problème technique, ça te remet en cause,
ça te fait te poser des questions, ça t’interpelle comme on dit dans les
émissions de télé qui veulent faire intelligent. C’est un peu comme si t’avais
un gamin qu’avait mal tourné, en tant que parent t’es responsable et
t’aimerais bien pouvoir réparer aussi facilement qu’une bécane.
C’est peut-être
vrai, qu’il n’y a que les vieilles anglaises qui tombent encore en panne
aujourd’hui mais celles-là au moins on peut les réparer, on pense qu’elles en
valent la peine, on les laisse pas tomber, on les aime.
Quand je vois
les gamins à l’abandon qui aimeraient qu’on les répare, qu’on s’en occupe et
qui en valent sûrement la peine aussi, je me dis que le monde est pourri qui
fait naître et grandir ses enfants comme il produit ses dernières machines de
haute technologie: sans âme et sans amour !
C’était le moment d’arrêter
notre philosophe de comptoir, d’abord parce qu’il commençait à saouler les
clients avec ses convictions et ses manières de prédicateur évangéliste et
puis ensuite parce que je venais de me rappeler qu’à une trentaine de bornes
de là – chez (Amphétamine) Annie – il y avait un autre Gottlieb aux ressorts
un peu mous mais avec ce beau bruit de sonnerie quand on passe mille points et
le « blonq » sourd et bruyant qui annonçait la partie gratuite.
Et une route de montagne
magnifique pour y aller.
Et puis, j’avais
l’impression qu’il commençait à déteindre sur moi le Gégé…Pas vous ?
Gérard AMC
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