Ah, Jivaro, c'est un personnage... d'ailleurs, c'est vraiment un "personnage", un personnage de BD pour de vrai ! Ceux qui connaissent les bédés de Margerin peuvent le confirmer.
Il y a une vingtaine d'années, je collaborais comme dessinateur de dessins rigolos pour un canard qui s’appelait Motocycles animé par un groupe d'amateurs de motos classiques.
Kimble (pour ceux qui le connaissent, c'est lui aussi un personnage) propose un reportage sur Jivaro, le "Jivaro des BSA". Les copains me proposent d'illustrer le sujet et voilà qu'un samedi midi de l'hiver 1995, j'ai rencard à Suresnes, au rez de chaussée d'un petit immeuble de banlieue. Il neige depuis quelques jours, ça caille et je décide d'y aller avec ma 2CV de 1959 histoire de montrer que moi aussi, je m'y connais en vieux trucs. Faut dire aussi qu'à ce moment-là, ma brèle est une BMW et j'ai entendu parler du caractère un peu... disons "entier" du bonhomme qui ne conçoit pas qu'on puisse rouler autrement qu'en BSA (
"si les japonais avaient fabriqué des motos, j'en aurais entendu parler" proclamait déjà le Jivaro). Bon, si le type est réputé "difficile", j'en connais pas un qui n'aie jamais eu un peu de tendresse pour la Deux-pattes qui est au moins à l'automobile française ce que les BSA doivent être à à la moto anglaise (et carrément mondiale selon le Jiv').
Arrivé sur place, Kimble est déjà là (il a garé son vieux PX rouge sous les fenêtres du Jiv') et je fais connaissance avec Maryse (que j’appellerai plus tard la Jivarette et je crois bien que c'est resté).
Partout des bouquins, un vieux buffet genre "rustique", ambiance déjeuner du dimanche chez les grands-parents... sous la fenêtre trône une BSA twin à courroie sur ses jantes sans pneus... pas courant, comme bibelot !
Là-dessus, le Jiv' arrive, poignée de main à son pote Kimble et à moi tout pareil, comme si on se connaissait depuis toujours. Il hume en gourmand le gigot patates sautées que Maryse vient de poser sur la table, il est à la bourre mais il arrive pile au bon moment. Et là, il sort de son sac (il rentre du boulot) une soupape comme je n'en ai jamais vu et il l’exhibe comme un trésor, comme une œuvre d'art... c'est une soupape de F1, une vraie, en sodium de titane au carbure de rareté, fine, longue, gracieuse... Jivaro est en émoi et il tient à nous faire partager son émotion. On partage, avec respect et humilité...
C'est comme ça que j'ai rencontré Jivaro et Jivarette et je m'en souviens comme si c'était hier.
Depuis, le temps a passé, mais chaque fois que je passe dans le coin, je fais un crochet pour aller le voir dans son antre du Livradoisistan central.
Une fois (à moto), j'en ai profité pour réparer une crevaison, une autre fois, il m'a mis un coup de soudure sur l'armature tubulaire de la banquette de ma 2CV de 59 (la même que quand je l'ai connu)... une autre fois, nous voilà partis en 2CV à un vide-grenier dans le patelin d'à-côté. La dernière fois, j'étais avec la Bullet, il m'a refait le faisceau de phare dont l'ampoule venait de claquer et comme elle était soudée sur les fils, il a fallu jouer de la pince à sertir.
Il y a un peu plus de 10 ans, je cherche à essayer une Bullet à BV5 qui vient de sortir, pour Moto-Magazine... mais sur Paname, polope, y'en a pas. Un coup de fil au Jiv' qui me dit
"t'as qu'à passer, j'en ai une, viens dès que tu peux, bien sûr tu dors à la maison"... Allez, direction l'Auvergne !
Le lendemain, nous v'là partis pour une belle après-midi de roulage entre chez lui et les hauteurs d'Ambert, à écumer les routes de son biotope en passant par le col de je ne sais plus quoi, m'enfin c'était chouette. Au retour, il me propose d'essayer sa Vincent. Content qu'j'étais !
Quand j'ai acheté la BSA A7 du Druid en Auvergne, on est passé voir le Jiv', c'est à côté. Et puis quand même, c'est un peu à cause du Jiv' que je me retrouve sur une BSA, à force de m'en parler, de ses foutues bécanes !
L'A7 du Druid (qui est déjà la mienne) ne freine pas, on en parle au Jiv'... Bon, rentrons-là, on va jeter un coup d’œil. En deux coups les gros, la roue est dans le tour, Jivaro fait une passe puis il s'occupe de rectifier aussi les garnitures. OK, il remonte, redescend la BSA du pont, on va manger chez Michy qui fait une estouffade du tonnerre, ces choses-là, avec Jivaro, c'est aussi sérieux que la mécanique. Et nous voilà partis !
On se quitte en début d'AM et on rentre chez le Druid, l'apéro nous attend avec un beau coucher de soleil sur la chaine des volcans, là-bas au loin.
Passé minuit, alors que je suis en train de me laisser glisser dans les bras de Morphée, mon portable sonne... saperlipopette, qui peut m’appeler à c't'heure-là ?
C'est Jivaro ! Il vient de se souvenir, en allant se coucher lui aussi, qu'il a oublié de remonter une toute petite goupille, celle qui tient la navette du bout du câble, sur la biellette de frein du tambour AV. Le truc à perdre ton frein d'un seul coup au plus mauvais moment ! Ouf, merci pour le coup de fil, j'arrangerai ça demain matin avec un peu de fil de fer.
Des souvenirs de chez Jiv', j'en ai d'autres, que des bons ! Sans parler des dégustations de son vin de buisson qui descend comme de la limonade mais qui te plombe tellement que tu ne peux pas reprendre la route avant une nouvelle escale technique dans la chambre d'ami...
Jivaro, ne change rien et à la prochaine ! Bises à Jivarette !